«Le problème qui existe quand on aborde le Lac Tchad est celui de la communication»

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«Le problème qui existe quand on aborde le Lac Tchad est celui de la communication»

UNHCR, 11 Jan 2016

URL: http://unhcrniger.tumblr.com/post/137076637989/le-probl%C3%A8me-qui-existe-quand-on-aborde-le-lac
L’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) est un organisme français de recherche avec une forte présence au Niger et au Tchad. Il y a quelques mois, l’Institut publiait une expertise collégiale qui offrait une analyse d’une rare précision sur la situation environnementale et socio-économique du Lac Tchad. Le travail de recherche sur le terrain s’est réalisé avant la dégradation de la situation sécuritaire dans la zone telle qu’on la connaît aujourd’hui.

Comme pour chaque conférence sur le climat, lors de la COP 21, récemment à Paris, le sort du Lac Tchad a été remis à l’ordre du jour. En général beaucoup d’effets d’annonces, mais peu d’engagements concrets. Oumarou Malam Issa est Représentant de l'IRD, structure qui a participé activement à la COP 21. Nous nous tournons aujourd’hui vers lui pour bénéficier de son analyse.

M Malam Issa, quelques semaines après la clôture de la COP 21, est-ce-que des actions concrètes sont prévues pour le Lac Tchad ?
Oui, la mobilisation autour du lac Tchad a porté ses fruits. Il y aura des actions concrètes notamment un plan de développement et d’adaptation au changement climatique. Cette initiative est portée par la Commission du Bassin du Lac Tchad (CBLT) et les pays membres à savoir le Cameroun, la Libye, le Niger, le Nigéria, la République Centrafricaine et le Tchad. Ce plan a été préparé avec le soutien de la Banque mondiale et en coordination avec l’Agence Française de Développement (AFD). Ce plan s’appuie en grande partie sur les résultats de l’expertise collégiale conduite par l’IRD.

L’IRD n’est pas une structure “climato-sceptique” et pourtant dans votre expertise collégiale vous remettez en question les thèses d’un Lac Tchad qui se dessèche sous l’effet du changement climatique. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Nous ne sommes pas du tout une structure climato-sceptique. Nous disposons d’assez de données et de connaissances dans la zone climatique qui englobe le Lac Tchad pour être convaincus par le changement climatique. Mais nous avons également suffisamment de données pour dire que le lac a été soumis par le passé à des variations de grande ampleur en termes de surface et de niveau. La situation actuelle du lac qu’on appelle « petit Tchad» n’est pas nouvelle.

Il faut comprendre que depuis 1950, le lac est passé par quatre états différents. D’abord le « Grand Tchad », avec un niveau d’eau légèrement supérieur à celui de Moyen Tchad et les mêmes paysages, mais un débordement vers les Pays Bas du Tchad et vers le nord-est. Vient ensuite « le Moyen Tchad » de 1950 à 1973, qui était constitué d'un seul plan d'eau couvrant les deux cuvettes de façon uniforme. Puis le « Petit Tchad sec » dans les années 1970-1980, avec une cuvette nord asséchée pendant une ou plusieurs années complètes, et une cuvette sud où les marécages dominaient le paysage. Et enfin le « Petit Tchad », celui que l’on connaît aujourd’hui, où les cuvettes sud et nord sont séparées, avec une alimentation en eau et une inondation partielle de la cuvette nord. Il est aussi important de mentionner que en 2013, 2014 et 2015 des crues fluviales relativement importantes ont permis une bonne inondation de la cuvette nord.

Le problème qui existe quand on aborde le Lac Tchad est celui de la communication. On a tendance à avoir un discours pessimiste sans prise en compte du fonctionnement du Lac. La situation actuelle est en effet plutôt favorable du point de vue des services écosystémiques fournis par le lac, mais elle doit tenir compte de l’évolution démographique et des variabilités naturelles du milieu.

Le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) s'accorde pour prévoir une augmentation globale de la température, mais ne peut actuellement se prononcer sur les effets du changement climatique sur l’hydrologie et les écosystèmes du lac et de son bassin. Cette incertitude est d’ailleurs une contrainte majeure pour la définition de politiques d'aménagement à moyen terme des ressources en eau.

Dans cette étude collégiale, il est écrit que le Lac Tchad est l’une des seules zones rurales sahéliennes avec un solde migratoire positif. Comment expliquer cette attractivité ?
Depuis la fin des années 1970, la population du lac et de ses rives a triplé, pour atteindre 2 millions d’habitants en 2014. Les ressources du lac en poissons, terres fertiles et pâturages ont attiré de nombreux habitants de l’arrière-pays sahélien frappés par les sécheresses. Ce solde migratoire positif est lié au fait que le lac Tchad offre des ressources qui en font à la fois un grenier vivrier, un pôle économique de grande importance et un refuge en cas de sécheresse pour des nombreuses populations comme les travailleurs agricoles saisonniers ou permanents, les pêcheurs, les pasteurs ou les commerçants.

Cela signifie que le Lac est une zone à fort potentiel ?

En effet. D’une part, les vastes zones découvertes par la décrue saisonnière, c’est-à-dire des terres fertiles et riches pour le pâturage, offrent d’importants potentiels agricoles et pastoraux. De l’autre côté, les marécages et les eaux du lac offrent des conditions de reproduction et de croissance des poissons très favorables. Il faut comprendre que le mode d’exploitation des ressources au lac Tchad peut se résumer par une stratégie d’adaptation à la variabilité du milieu qui s’exprime en trois « M » : Mobilité, Multiactivité, Multifonctionnalité. La mobilité est celle des populations, qui suivent les ressources au cours de l’année et s’adaptent à leur variabilité interannuelle. La pluriactivité est généralisée au sein des exploitations, où l’on pratique pêche, agriculture et élevage, selon des dosages variables en fonction des groupes et les années. La multifonctionnalité permet de valoriser la même portion de terre par différentes activités (pêche, agriculture, élevage) au cours de l’année.

Le Lac Tchad côté nigérien est aujourd’hui vide de sa population. Quel impact a cette situation sur l’économie de la région de Diffa ?
Avant la crise actuelle, le lac Tchad était un pôle exportateur de produits agricoles, contribuant fortement à l’approvisionnement de Ndjamena et Maiduguri, les deux métropoles régionales millionnaires, mais aussi à la sécurité alimentaire de cet arrière-pays rural sahélien structurellement déficitaire en céréales. Il est indéniable que la disparition des activités dans ce véritable poumon économique a des répercussions considérables sur l’économie de la région de Diffa.

La population de Diffa a-t-elle donc le temps d’attendre que s’accorde la communauté internationale sur la diminution des gaz à effets de serre ?

La réponse est clairement non. Il y a une situation d’urgence. Mais cette situation d’urgence ne doit pas perdre de vue qu’il faudrait des solutions durables.

Pour plus d’informations sur les travaux de l’IRD : http://www.niger.ird.fr/

L’expertise collégiale a été publiée par l'IRD sous la référence : Lemoalle J., Magrin G. (eds), 2014.– Le développement du lac Tchad : situation actuelle et futurs possibles. Marseille, IRD Éditions, coll. Expertise collégiale, 215 p. + clé USB 636 p.
L'ouvrage est consultable dans les centres et représentations de l'IRD sous sa forme papier et en ligne. Il est aussi en vente à la librairie de l'IRD sur le site/ http://www.editions.ird.fr/
Il sera accessible gratuitement en ligne dans les prochains mois sur http://horizon.documentation.ird.fr