Tchad : "la mal-gouvernance devrait plus préoccuper les partenaires"

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Tchad : "la mal-gouvernance devrait plus préoccuper les partenaires"

Le Point Afrique, 13 Sep 2017

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Trois fois plus. C'est ce que le gouvernement tchadien estime avoir obtenu à l'issue de la table ronde organisée à Paris. Le pays avait requis plus de 7 milliards de dollars pour financer son PND 2017-2021. Il aura finalement obtenu une intention d'investissement de l'ordre de 20 milliards de dollars. Que cache cette forte générosité des bailleurs de fonds ? Existe-t-il un deal pour mettre en œuvre un agenda international en matière de politique migratoire et de lutte contre le terrorisme, terrain sur lequel le président Idriss Déby Itno est présenté comme un acteur-clé de la région du Sahel ? Pour le peuple tchadien meurtri par l'oppression et lassé par des promesses non tenues, ces fonds levés vont à l'encontre de ses intérêts car ils constituent un blanc-seing qui va renforcer le régime d'Idriss Deby.
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Un contexte peu enclin au développement
Depuis vingt-sept ans, le peuple tchadien vit sous une dictature déguisée en démocratie : les libertés fondamentales sont systématiquement bafouées, le calendrier électoral n'est pas respecté, la chasse aux leaders de la société civile et des partis politiques est monnaie courante. La tendance actuelle montre un durcissement des conditions d'exercice des libertés qui se traduisent par des arrestations arbitraires comme celles de Nadjo Kaina, Mahamat Nour Ibedou, Mahamat Barh Kindji, Laokein Medard, ou encore celle de Céline Narmadji. Cette restriction des libertés passe également par des interdictions systématiques de réunions et de manifestations pacifiques, un harcèlement des journalistes, et l'exil forcé des acteurs de la société civile (Jean-Bosco Manga, Bertrand Solo).

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Les rapports récents des ONG comme Swissaid et des investigations des journalistes canadiens ont montré que les ressources publiques servent à enrichir une minorité autour d'Idriss Déby Itno et son épouse. La dégradation des indicateurs tels que ceux de l'Indice de développement humain (IDH) du Pnud (le Tchad est classé 186e sur 188 pays), les classements Doing Business, les rapports d'Amnesty International ou encore International Crisis Group démontrent clairement les insuffisances en matière de gouvernance et de respect des droits humains.

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© DR
Abdelkerim Yacoub Koundougoumi. © DR

La question de la mal-gouvernance comme priorité
Dans ce contexte de crise multiforme, la mal-gouvernance devrait plus préoccupée les partenaires et devrait être prise en compte comme obstacle à l'octroi de fonds empêchés de nourrir un processus de développement durable. S'il est rassurant pour les Tchadiens que la communauté internationale prenne en compte les enjeux sécuritaires régionaux, il est en revanche plus urgent encore de tenir compte des aspirations profondes du peuple et de la stabilité intérieure.

Nous nous fondons sur les échecs des plans précédents (2003-2011 et 2013-2015) et de la gestion calamiteuse des ressources pétrolières pour exprimer notre inquiétude. Nous pensons qu'il est imprudent de la part des bailleurs d'octroyer de l'aide sans une certaine garantie, sans un dispositif cohérent et inclusif de mise en œuvre qui garantisse la transparence et la recevabilité dans la réalisation des objectifs du PND. Nous pensons qu'il ne faut pas octroyer une prime à la mal-gouvernance sous le couvert d'une rente sécuritaire.

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Des bailleurs conscients de la situation
Pour la société civile, les bailleurs de fonds ne sont pas ignorants de la situation dégradante des droits de l'homme et de la gouvernance au Tchad. Les citoyens tchadiens sont de plus en plus convaincus que leur pays est devenu un sous-traitant de la France et de l'Union européenne en matière de mise en œuvre de sa stratégie géopolitique, sécuritaire comme la mise en œuvre du G5 Sahel et du contrôle migratoire comme les hot-spots proposés par Emmanuel Macron. La tenue même de cette table ronde à Paris, la capitale française, avec la présence et le soutien de son gouvernement en dit long.

Nous estimons que l'urgence pour la Communauté internationale est de contribuer au règlement des crises multiformes par l'organisation d'un dialogue inclusif devant jeter les bases d'une bonne gouvernance et d'une transition apaisée. Les récurrentes manifestations pacifiques réprimées et les récents accrochages avec la résistance armée témoignent notamment de cette urgence. Nous exigeons également la mise en place d'un dispositif inclusif de mise en œuvre du PND garantissant les principes de transparence et de recevabilité. Nous estimons que les mesures sévères d'austérité (suppression de la bourse des étudiants, des primes des policiers, militaires et fonctionnaires, ainsi que le gel des recrutements) doivent être levées immédiatement. Par ailleurs, les prétextes de manque de ressources invoqués pour ne pas respecter les calendriers électoraux n'ont plus de raison d'être.

* Abdelkerim Yacoub Koundougoumi, activiste tchadien, est également coordinateur du mouvement citoyen Projet pour une alternance crédible au Tchad (Pact).