De l'apatridie à la citoyenneté: l’histoire de Mamadou

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De l'apatridie à la citoyenneté: l’histoire de Mamadou

UNHCR, 24 Feb 2016

URL: http://kora.unhcr.org/stateless-nationality-story-mamadou/
Dé sormais citoyen ivoirien, cet homme de 59 ans se sent finalement appartenir à une nation.

Des centaines de milliers de personnes sont apatrides ou à risque d’apatridie en Côte d’Ivoire. Cette population comprend environ 400.000 migrants historiques, majoritairement du Burkina Faso, du Mali et de la Guinée et leurs descendants. Ils sont nés ou résident en Côte d’Ivoire depuis l’indépendance en 1960, mais n’ont pas pu confirmer leur nationalité du fait de règles restrictives quant à l’acquisition de la nationalité. Le HCR travaille en étroite collaboration avec le Gouvernement ivoirien, en particulier avec le Ministère de la Justice pour remédier à cette injustice de longue date et ainsi réduire le nombre d’apatrides vivant sur le territoire ivoirien.

La Côte d’Ivoire a adopté en 2013 une loi* permettant à des groupes spécifiques de population – essentiellement des personnes nées ou résidant en Côte d’Ivoire depuis l’indépendance et leurs descendants – d’acquérir la nationalité ivoirienne à travers un processus simple et non-discrétionnaire. Les autorités ivoiriennes ont commencé à appliquer la loi en avril 2014 avec l’appui du HCR et à ce jour 6,400 certificats de nationalité ont déjà été distribués sur l’entièreté du territoire. **

De plus, la Côte d’Ivoire a adopté le 25 février 2015 la Déclaration d’Abidjan pour éradiquer l’apatridie dans les Etats membres de la CEDEAO. La Côte d’Ivoire – et l’Afrique de l’Ouest – célèbre aujourd’hui le premier anniversaire de ce document fondamental qui contient 25 engagements pour prévenir, réduire et, à terme, éradiquer l’apatridie dans la région.

Nora Sturm du HCR a parlé avec Mamadou Salogo à Abidjan. Bien que né en Côte d’Ivoire et y avoir passé toute sa sa vie, cet homme, agé de 59 ans, a seulement obtenu une nationalité en juin dernier. Mamadou vit à Yopougon, un quartier populaire d’Abidjan, avec ces quatre femmes et quatorze enfants. Il explique les obstacles auxquels il a été confronté en tant qu’apatride, et l’impact que l’acquisition d’une nationalité a eu sur sa vie.

Pouvez-vous nous expliquer comment vous vous êtes retrouvé apatride?
Je suis né le 15 octobre 1956 à Assie-Orie, un village dans le sud-est de la Côte d’Ivoire. Mes parents étaient originaires de la Haute Volta (Burkina Faso actuel) et s’étaient installés en Côte d’Ivoire pour travailler dans les plantations de café et de cacao. Vu qu’aucun de mes deux parents n’a été déclaré à la naissance ou ne possédait des papiers prouvant qui étaient leurs parents, ils n’ont jamais songé à déclarer ma naissance. Donc, à l’instar de mes parents, je n’avais pas de documents d’identité !

En fait, ce n’est que lorsque j’ai eu mes 15 ans en 1971 que j’ai obtenu un « jugement supplétif » (une déclaration de naissance tardive) pour passer un examen scolaire. Mais ce n’était qu’un document administratif. Il ne me donnait en aucun cas droit à la nationalité. Je l’ai appris à mes depends… Parce que je n’étais pas reconnu comme ivoirien devant la loi,1 je ne pouvais pas prétendre aux bourses d’études parce que celles-ci étaient réservées aux nationaux. J’ai donc dû quitter l’école. Des années plus tard, en 1983, j’ai présenté une demande en vue d’obtenir la nationalité burkinabé en raison des origines de mes parents, maisce fut un nouvel échec : on m’a répondu que parce que ces derniers n’avaient aucun document, il était impossible de prouver qu’ils étaient vraiment ressortissants du Burkina Faso. Aucun de ces deux pays ne voulait me reconnaitre comme citoyen… C’est comme si j’étais étranger dans mon propre pays.

A quoi ressemblait votre vie lorsque vous étiez apatride?
Vivre sans nationalité formelle est vraiment difficile. J’ai tant souffert de l’apatridie. J’ai dû arrêter les études et commencer à travailler très jeune pour joindre les deux bouts. J’étais l’objet d’insultes quotidiennes en raison de mon statut. Bien que je sois né et que j’aie grandi ici, j’étais considéré et traité comme un intrus, sans droit, et il m’a fallu du temps pour surmonter ce sentiment d’infériorité. L’apatridie est, à la base, une question de dignité humaine.

Plusieurs amis en situation d’apatridie comme moi étaient planteurs de café et de cacao tout comme leurs parents et grands-parents. Ils étaient victimes de racket chaque fois qu’ils tentaient de voyager à travers le pays parce qu’ils ne pouvaient produire aucun document pour prouver leur identité national. Durant la crise post-électorale de 2010-2011, la vie était devenue un enfer. Parce que je n’avais pas de nationalité clairement définie, j’étais automatiquement vu comme partisan de l’une des parties au conflit, ou comme un étranger qui venait semer le trouble dans le pays. En réalité, tout ce que je voulais, c’était la paix.

Vous était-il possible de travailler malgré votre statut?
Trouver du travail quand on n’a pas de nationalité est une chose très difficile. J’ai eu beaucoup de chance, contrairement à tant d’autres personnes dans la même situation que moi. Après avoir abandonné l’école, je suis parti à Abidjan pour trouver du travail. J’ai débuté comme agent de sécurité dans une société de livraison. Ils ne se souciaient pas de mes origines ; tout ce qui les intéressait, c’était que je sois à l’heure et que je fasse mon travail. J’ai été remarqué par l’un des dirigeants de l’entreprise qui m’a pris sous son aile. Il m’a aidé à obtenir un permis de conduire et m’a formé au métier de livreur. L’entreprise a ouvert un supermarché en 1987 et j’ai été d’abord nommé Directeur Adjoint, puis comme Responsable des Achats et Produits Locaux. Mais très vite, mon succès est devenu source de tensions. Les autres employés m’insultaient en disant : « Comment tu as pu avoir ce poste ? On ne sait pas qui tu es. Tu n’es même pas de chez nous ! ». Cette hostilité a duré plusieurs années et je n’ai aucun doute que c’est l’une des raisons pour lesquelles on m’a demandé de quitter mon poste au supermarché pour un autre à l’aéroport où je travaille à ce jour.

Comment votre problème a-t-il été résolu?
Mon problème a finalement trouvé une solution le 29 juin 2015 lorsque ma demande dans le cadre du programme spécial d’acquisition de la nationalité par déclaration a été acceptée. A présent, j’ai exactement les même droits et devoirs que tous les autres citoyens ivoiriens. Les mots me manquent pour exprimer ma joie d’être enfin reconnu comme ressortissant d’un pays. Ma vie a beaucoup changé depuis. Les gens me regardent différemment ; je sens enfin que suis sur le même pied d’égalité que tous mes concitoyens. Je peux aller au travail sans craindre que l’on se moque de moi. Mes enfants peuvent à présent aussi acquérir la nationalité ivoirienne, aller légalement à l’école et contribuer au tissu social de leur communauté.

A présent, je participe à la sensibilisation des populations à ce programme à travers tout le pays. Je fournis des informations dans les langues locales sur les critères d’éligibilité et les types de documents à présenter. Je mène ces actions avec l’aide de certains amis qui étaient dans la même situation que moi et qui connaissent le cauchemar qu’est l’apatridie.



*Loi No 2013-653 adoptée le 10 septembre 2013.

**Ce programme représente une étape importante pour réduire l’apatridie en Côte d’Ivoire, mais il reste du travail. Ayant pris fin en janvier 2016, le HCR mène actuellement un plaidoyer pour que le programme soit prolongé de manière indéfinie, car de nombreuses personnes éligibles ne savent pas qu’il existe. Cela aura un impact énorme en termes de lutte contre l’apatridie en Côte d’Ivoire.