La Centrafrique s'enfonce dans l'anarchie

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La Centrafrique s'enfonce dans l'anarchie

Le Figaro, 09 Jan 2018

URL: http://www.lefigaro.fr/international/2018/01/09/01003-20180109ARTFIG00287-la-centrafrique-s-enfonce-dans-l-anarchie.php
Alors que 2017 a connu les mois les plus violents depuis trois ans, la nouvelle année commence dans le sang.

AFRIQUE CENTRALE Il y a quatre ans tout juste, Michel Djotodia, président putschiste, quittait la tête de la Centrafrique après un règne éphémère et violent. Deux ans plus tard, une élection présidentielle permettait à Faustin-Archange Touadéra de prendre le pouvoir, démocratiquement. Chaque fois, les Centrafricains comme les observateurs ont voulu voir dans ces changements des tournants qui conduiraient le pays vers la paix, ou au moins vers une certaine stabilité. Il a fallu déchanter. Les haines, les clivages religieux et les luttes entre la milice Séléka, à dominante musulmane, et les Anti-Balaka, des groupes en majorité chrétiens, continuent.

À Paoua, gros bourg du nord-ouest, les habitants ne le savent que trop. Les environs de la ville sont, depuis le 7 décembre, secoués par des affrontements sanglants. « Il y a des combats sur presque toutes les routes autour de Paoua. Des milliers de personnes ont dû fuir leurs villages pour se réfugier en ville » , affirme Frédéric Lai Manantsoa, responsable de Médecins sans frontières (MSF). Ils opposent le Mouvement national pour la libération de la Centrafrique (MNLC), un groupe dissident de la Séléka créé en octobre par le « général » Ahamat Bahar, à Révolution et Justice (RJ), des miliciens proches des Anti-Balaka. Les réfugiés, qui seraient près de 60 000 à Paoua et presque 5 000 au Tchad voisin selon HCR, racontent tous les mêmes scènes d'une brutalité ordinaire : des hommes du MNLC, à cheval ou à moto, qui envahissent des villages, brûlant les maisons, pillant et tuant les récalcitrants. En représailles, les combattants de RJ se livrent peu ou prou aux mêmes exactions. Le 31 décembre, le lynchage de deux musulmans en plein centre de Paoua a causé la panique, poussant les familles de cette communauté à chercher refuge auprès des Casques bleus.

Comme à chaque fois, les raisons de cette flambée de violence sont obscures. On évoque un vol de bétails, des zébus. D'autres soulignent l'assassinat, particulièrement affreux, d'un chef des RJ comme cause de l'embrasement.

Un président confiné à Bangui

Dans une atmosphère tendue, le moindre événement entraîne un drame. Au début de l'année, l'est du pays a connu un enchaînement de luttes. Bria est ainsi depuis le printemps une ville semi-déserte, coupée en deux entre communautés et combats entre factions. Plus au sud, à Bangassou, les musulmans vivent terrés depuis mai sous la pression des Anti-Balaka. À l'été, le feu a gagné les villes voisines d'Alindao puis d'Ippy. « La situation est à peu près calme dans cette zone en ce moment, mais rien n'est acquis » , commentait un responsable de l'ONU. Dans les mois suivants, des heurts ont été enregistrés à Kaga Bandoro, Batangafo... Au final, l'année 2017 a été celle d'une « détérioration des conditions de sécurité », ont souligné dans un rapport les experts de l'ONU. Les négociations de paix sont au point mort. Les ONG estiment que plus d'un tiers des 4,5 millions de Centrafricains sont aujourd'hui déplacés. Plus que jamais.

« La situation est anarchique. Chaque clash obéit à sa logique. Il y a tout de même derrière cela la volonté de groupes de relancer la guerre pour conserver ou prendre le contrôle d'une région riche ou bien d'un axe routier » , analyse un militaire étranger. Ce dernier en veut pour preuves les déclarations bellicistes du chef d'une partie de la Séléka. Dans un entretien à l'AFP, Noureddine Adam, l'ancien bras droit de Michel Djotodia, tout en se disant « homme de paix » menace, si le gouvernement « passe la ligne rouge », de lancer ses troupes vers Bangui, la capitale, pour déloger le président Touadéra, qualifié de « criminel » .

Longtemps sur la défensive, cette part de la Séléka, aurait reçu ces derniers mois grâce au processus de désarmement en cours au Soudan voisin un afflux d'armes, voire de mercenaires, dans le nord de la Centrafrique. En parallèle, la Russie a promis un don important d'armes pour l'armée régulière Centrafricaine (Faca). Moscou doit notamment fournir 5 200 fusils d'assaut AKM, 840 fusils-mitrailleurs Kalachnikov et 270 lance-roquettes RPG. Ils doivent équiper les quelque 1 700 soldats des Faca formés par l'Union européenne et permettre à l'armée de s'imposer face aux rébellions. Si officiellement personne ne proteste contre cette livraison, beaucoup s'inquiètent. « Ce n'est pas mauvais en soi si ces armes sont surveillées et mises entre de bonnes mains. Sinon, cela risque d'accroître les problèmes » , remarque l'officier.

De son côté, l'ONU, qui a connu en 2017 l'année la plus meurtrière depuis son déploiement avec 12 Casques bleus tués, s'apprête à se renforcer. Un contingent de 700 Brésiliens et 200 Rwandais doit arriver. Ils ont aussi pour mission de renforcer le pouvoir du président Touadéra, qui pour l'instant ne s'étend toujours pas au-delà de Bangui.