La Gambie s'enfonce dans la crise politique

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La Gambie s'enfonce dans la crise politique

Le Figaro, 17 Jan 2017

URL: http://www.lefigaro.fr/international/2017/01/17/01003-20170117ARTFIG00330-la-gambie-s-enfonce-dans-la-crise-politique.php
Le président Yahya Jammeh, défait lors des élections présidentielles de décembre dernier refuse de céder le pouvoir à son rival, et a proclamé l'état d'urgence ce mardi à deux jours de l'investiture. Une attitude condamnée par de nombreux ministres et militaires.

La grave crise politique que traverse la Gambie vire à l'affrontement. En réponse aux démissions de ministres en série qui secoue son gouvernement depuis que le président Yahya Jammeh a exprimé son refus de céder le pouvoir à son successeur élu Adama Barrow, le chef de l'État a proclamé, ce mardi, l'état d'urgence. Yahya Jammeh invoque «un niveau d'ingérence étrangère exceptionnel et sans précédent» dans le processus électoral du pays qui a vu son rival l'emporter dans les urnes en décembre dernier. Il a également déploré «l'atmosphère hostile injustifiée qui menace la souveraineté, la paix et la stabilité du pays». Selon la Constitution, l'état d'urgence dure sept jours lorsqu'il est proclamé par le chef de l'Etat, mais peut être porté à 90 jours avec l'approbation de l'Assemblée nationale.

L'annonce a été formulée en des termes très généraux, prévenant la population qu'il était «interdit de se livrer à des actes de désobéissance aux lois gambiennes, à l'incitation à la violence, ou troublant la paix et l'ordre public». Le chef de l'Etat sortant a également ordonné aux forces de sécurité de maintenir la paix et l'ordre.

● Vague de démissions au sein du gouvernement

Cette annonce intervient à deux jours de l'investiture prévue d'Adama Barrow, accueilli au Sénégal jusqu'à cette date et dont le président sortant conteste la victoire après avoir, dans un premier temps, reconnu sa défaite. Une volte-face dénoncée par ses ministres ces derniers jours. Ce mardi, quatre d'entre eux, dont les ministres des Affaires étrangères et des Finances, ont ainsi présenté leur démission.

Une série de ministres ont été récemment limogés ou ont démissionné, alors que Yahya Jammeh affirme vouloir rester en place tant que la justice n'aura pas statué sur ses recours électoraux, malgré les pressions internationales pour qu'il cède le pouvoir, jeudi, après l'expiration de son mandat.

● Des purges dans l'armée

Par ailleurs, des changements sont également intervenus dans l'armée, où des officiers refusant de soutenir Yahya Jammeh contre Adama Barrow, comme le leur demandaient des commandants de la Garde républicaine, qui assure la protection du président sortant, ont été arrêtés dimanche soir, selon une source de sécurité. Depuis son exil au Sénégal, où il réside depuis dimanche, Adama Barrow s'est dit «informé de la vague massive d'arrestations illégales d'officiers de l'armée et des services de sécurité par le gouvernement sortant», exigeant leur libération immédiate.

● Médiation du Maroc

Le Maroc mène actuellement une «médiation discrète et de la dernière chance» en Gambie pour obtenir le départ du président sortant, a révélé ce mardi un site d'information en ligne marocain. L'objectif serait de persuader le chef de l'État gambien de «céder le pouvoir» et «d'accepter sa défaite aux élections contre l'éventualité d'une retraite dorée au Maroc», affirme Le Desk, qui cite des «sources diplomatiques concordantes». Cette «médiation discrète» serait celle «de la dernière chance».

La Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) a également prévenu à plusieurs reprises qu'elle pourrait avoir recours à la force en dernier ressort. Un avertissement resté, pour l'heure, sans effet.

● Des journalistes interdits d'entrer dans le pays

Face aux risques de guerre civile ou d'intervention militaire extérieure, le flot de Gambiens quittant le pays depuis le début de l'année grossissait sensiblement ces derniers jours. Une tension que prouve également l'interdiction de sept journalistes étrangers d'entrer dans le pays lundi soir. «Tout le monde est inquiet», a confié Bella, marchande sur une plage de Banjul, précisant qu'elle ne viendrait «pas travailler demain ni après-demain» (mercredi et jeudi). «Nous prions tous les jours pour que la Gambie reste en paix», a déclaré un de ses collègues, Samba Sidibeh, 30 ans.

Les journalistes, quatre de la télévision chinoise CGTN, basés à Nairobi, deux Suédois de l'agence de photojournalistes Kontinent et un photographe sénégalais de l'AFP, se sont vnotifier cette décision au motif qu'ils n'avaient pas d'accréditation, bien qu'ils en aient demandé une et devaient la récupérer sur place, ont expliqué les intéressés. Trois journalistes sénégalais avaient été interpellés le 10 janvier à Banjul, où ils couvraient une audience de la Cour suprême, puis expulsés de Gambie.

● Jammeh, un dictateur fantasque

La Gambie, ce petit pays anglophone enclavé dans le Sénégal, est pourtant las de la misère et de la brutalité du régime de Yahya Jammeh, au pouvoir depuis 22 ans. Des centaines de milliers de personnes ont ainsi fui le pays ces dernières années. Le chef de l'État est un dictateur aussi assumé que fantasque. Une sorte de caricature. «Je serai président aussi longtemps que Dieu et mon peuple le voudront», affirmait-il il y a quelques mois dans une interview à Jeune Afrique, avant de menacer ses détracteurs: «Ban Ki-moon et Amnesty International peuvent aller en enfer!».

Ce verbe haut, le président, qui exigeait d'être appelé «Son Excellence Cheikh Professeur El Hadj Docteur», en avait sa spécialité depuis que, jeune lieutenant de 29 ans, il s'était emparé en 1994 du pouvoir par un coup de force. Il avait vite troqué son uniforme pour des boubous de luxe, presque toujours blancs, et s'était peu à peu attribué toutes sortes de qualités curieuses. Outre sa certitude d'être le meilleur président possible pour la Gambie, d'où son titre de «Babili Mansa», le Roi défiant le fleuve», il s'est dit investi de pouvoirs mystiques, de vastes connaissances «dans la médecine traditionnelle, surtout dans le traitement de l'asthme et de l'épilepsie». Il assure aussi pouvoir «guérir» la stérilité et le sida avec des plantes et des incantations. Les séances de guérison étaient télévisées. À la fin des années 2000, il avait aussi organisé une chasse aux sorcières, au sens propre, dans tout le pays.

Jammeh chassait également les sorcières de manière figurée. Les opposants, réels ou supposés, comme les journalistes étaient régulièrement arrêtés, battus. En 2014, le responsable d'un parti d'opposition était même mort en détention, suscitant de lourdes critiques internationales. «Où est le problème? Des gens qui meurent en détention ou durant des interrogatoires, c'est très commun», avait rétorqué Jammeh en juin dernier.